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  • Photo du rédacteurMathieu Marchand

COVID-19 au Québec: Estimer les cas fantômes

Dernière mise à jour : 1 avr. 2020

« Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai la Terre. »

-Archimède


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Quel est le nombre réel de cas infectés de Covid-19 au Québec? On entend cette question quotidiennement. Les données ne sont pas suffisantes diront certains. Il faut attendre le résultat d’autres études diront d’autres.


Les économistes, nous sommes habitués de travailler avec les données disponibles, celles que le monde réel veut bien nous donner. Nous ne pouvons pas conduire d’expériences économiques sur des souris en laboratoire après tout. Nous travaillons donc avec des données et les statistiques qu’on observe. Données non-contrôlées, pas toujours de bonne qualité, mais nous avons développé, au fil des ans, plusieurs méthodes pour les interpréter. Je vais donc essayer d’utiliser ces techniques le plus simplement du monde pour estimer le nombre de cas réels de personnes infectées au Covid-19 au Québec.


Pourquoi est-ce important d’estimer les cas fantômes?


Les cas fantômes sont les cas non-détectés. Les scientifiques s’entendent pour dire qu’une proportion de la population a effectivement contracté le virus, mais n’ont pas développés de symptômes, ou alors l’ont simplement pris pour une simple grippe. Ils portent le virus, mais leur organisme le combat bien et ils ne le savent pas. D'un côté, ils sont contagieux et peuvent propager la maladie sans le savoir. De l’autre côté, ils développeront vraisemblablement une immunité, ce qui leur permettra de retourner à une vie normale et contribuera à empêcher un éventuel retour du virus dans la population (la fameuse immunité de troupeau).


Trouver un point fixe : le nombre de morts


Par point fixe, je veux dire la ou les données les plus sûres, qui brossent un bon portrait de la réalité. Le nombre de cas officiels rapportés dans les médias dépend beaucoup du nombre de tests effectués. Le nombre de cas hospitalisés, également, peut varier, notamment selon le nombre de lits disponibles (nous hospitalisons actuellement des cas plus « léger » parce que nous avons l’espace pour le faire, luxe que l’Italie, par exemple, ne peut plus se permettre). Le nombre de morts est une donnée plus fiable. Je doute qu’au Québec nous ayons laissé passer un mort par pneumonie ces dernières semaines sans investiguer si son décès est lié au Covid-19. Nous sommes le 27 mars 2020, le Québec compte 18 morts, dont 10 nouveaux cas depuis hier. Je crois que ce chiffre est proche de la réalité. Il s’agit de la donnée la plus fiable que nous avons. Nous partirons donc des 10 morts d'aujourd’hui.


Quand on regarde les données sur le Covid-19, on regarde dans le passé


Vous connaissez ce principe en astronomie? Lorsqu’on regarde dans un télescope une étoile qui est à X années lumières, on la voit en fait telle qu’elle était il y a X années dans le passé. C’est pareil avec le Covid-19. On ne parle pas ici d’années lumières, mais de nombre de jours depuis l’infection


Période d’incubation : temps écoulé entre l’infection et les premiers symptômes


Différentes études ont déterminé que le temps d’incubation varie entre 0 et 14 jours. La fluctuation est grande. La période moyenne pour ces différentes études varie de 3 à 6,5 jours. Puisque nous ne sommes pas sûr et que nous devons formuler une hypothèse, prenons une moyenne de 6 jours pour simplifier les calculs, avec 14 jours comme étant un maximum généralement accepté par la communauté de chercheurs. [1]

Cela veut donc dire qu’une personne qui montre des symptômes aujourd’hui a probablement rencontré son "infecteur" la semaine passée.


Délais de dépistage


Il y a un délai de dépistage à ajouter au délai d’incubation. Au Québec, jusqu’à tout récemment, nous ne testions que les personnes montrant des symptômes et ayant voyagé. La contrainte de voyage n’est peut-être plus requise depuis l’augmentation du nombre de tests, mais on ne teste toujours que les gens montrant des symptômes. À partir de ce moment (6 jours en moyenne après l’infection), il faut 1 à 2 journées pour avoir un rendez-vous de dépistage (lignes engorgées au 811, un ou deux jours à croire que ce n’est qu’une grippe, etc.) et un autre 2 ou 3 jours pour obtenir les résultats. Postulons une hypothèse de 5 jours. Ce chiffre est entièrement sous le contrôle du gouvernement, et son objectif est de l’amener le plus possible vers zéro, afin de tester et de connaître le résultat dès l’apparition des premiers symptômes. (Idéalement, nous devrons tester également du monde sans symptômes, mais c’est un sujet pour une autre fois.)


Pour le moment, les nouveaux cas rapportés officiellement sont des cas qui ont été infectés il y a 11 jours en moyenne (6 jours avant les symptômes + 5 jours pour le résultat des tests), ceci pouvant aller jusqu’à 19 jours. Les 392 nouveaux cas annoncés aujourd’hui (27 mars) ont donc contracté le coronavirus en moyenne le lundi 16 mars, n’excluant pas des cas pouvant remonter jusqu’au 5 mars.


Le 16 mars, c’était le début de la fermeture effective du Québec, au sortir de la fin de semaine de folie au Costco. Plusieurs personnes ont dû être infectées en se battant pour leur papier de toilette!


Les prochains jours devraient montrer des bilans plus positifs.


Délais entre les symptômes et la mort


Je me baserai sur les chiffres d’une autre étude médicale[2] qui apporte les données suivantes. Le délai entre l’apparition des premiers symptômes et une confirmation par radiographie d’une pneumonie causée par le Covid-19 varie entre 3 à 7 jours (médiane 5 jours). Le délai entre les symptômes et l’admission aux soins intensifs varie de 7 à 14 jours (médiane 11 jours). Et le délai entre l’admission aux soins intensifs et la mort varie de 3 à 11 jours (médiane 7 jours).

  • La victime médiane meurt donc 18 jours après les premiers symptômes (variation de 10 à 25 jours).

  • La victime médiane meurt donc 24 jours après avoir été contaminée (variation de 13 à 39 jours).

Les 10 morts du 27 mars ont donc été contaminé autour du 3 mars (avec une fenêtre allant du 17 février au 14 mars)! Ils ont eu leurs premiers symptômes autour du 9 mars et ont été détectés officiellement aux environs du 14 mars.

Nombre significatif


Sans aller dans l’explication scientifique complexe, disons que j’attendais 10 cas afin de faire une prévision. En effet, un seul mort peut avoir été infecté entre le 17 février et le 14 mars! C’est un gros écart. Or, s’il y a plusieurs morts, certains auront été contaminé tôt, d’autres tard, mais la moyenne se rapproche du 3 mars. Pour des raisons statistiques, j’estime que 10 cas est un échantillon suffisant. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez consulter ce site.[3]


Quel est le vrai taux de mortalité?


Nous n’avons pas la réponse actuellement. Le mieux que nous pouvons faire est d’émettre des hypothèses. Le taux de mortalité mondial actuel est de 4,5% (26 865 morts / 586 140 cas) en ce 27 mars. Il semble généralement accepté dans la communauté scientifique qu’il ne s’agit pas du vrai chiffre, parce qu’on ne détecte pas tous les cas de la maladie, surtout les gens qui auraient contracté le virus sans développer de symptômes. Tout ça pour dire que le 586 000 cas mondial est sûrement sous-estimé.


Au Québec, le taux de mortalité est de 0,89% (18 morts / 2024 cas). Évidemment, nous sommes aux débuts de l’épidémie. Ce taux augmentera. Les pays développés qui ont réussi à ne pas surcharger leur système de santé ont maintenu ce taux sous les 4%. Nous sommes encore sur cette trajectoire. (Ça aussi, c’est un sujet pour une autre fois).


Estimer les cas fantômes au Québec


Je pars donc des 10 morts du 27 mars qui ont été infectés en moyenne le 3 mars, avec une fenêtre allant du 17 février au 14 mars. J’appliquerai différents taux de mortalité comme hypothèses.

Vous avez bien vu. Le 3 mars, j’estime qu’il y avait entre 200 et 1000 personnes infectées, déjà! Les chiffres officiels n’en avaient détecté qu’un seul! Vous comprenez aussi que plus vous êtes positif sur le « vrai » taux de mortalité (vous voulez croire que le taux de mortalité n’est que de 1%), la contrepartie, c’est qu’il va y avoir plus de cas fantômes non-détectés dans la nature. Comme on dirait, choisissez la vérité qui vous plait le mieux!


Cas infectés estimés et cas détectés officiels


Pour la suite, ne faisons pas d’hypothèses trop extrêmes. Prenons le taux de mortalité de 4% qui est généralement le taux observé dans le monde. Autour du 3 mars 2020, il y aurait donc eu 250 cas infectés au Québec. Nous n’en rapportions que 1.


Ceux-ci ressentiront leurs premiers symptômes environ le 9 mars.


Ceux d’entre-eux qui se feront dépister (on ne sait pas la proportion qui continue de se dire « c’est juste une grippe », ou qui n’arrivent pas à avoir la ligne au 811) auront leurs résultats le 14 mars.


Ça va jusqu’ici?


Y avait-il 250 cas officiels le 14 mars? Non. Il y en avait 25.


Les 225 cas qu’on n’avait pas dépisté le 14 mars sont les cas fantômes.


Prévisions des infections à partir de 250 cas le 3 mars


Il semble établi, dans la plupart des pays qui ont débutés l’épidémie avant nous, que le nombre de cas double aux 3 jours. Le Québec et le Canada semble se trouver sur cette trajectoire. C’est l’hypothèse (et oui! une autre) que nous prendrons. Si vous voulez en savoir plus, voici une bonne source d’informations et de statistiques.[4]


Avec 250 cas le 3 mars et un doublement aux 3 jours, nous aurions 67 068 cas aujourd’hui, et plus de 170 000 le 31 mars! Imaginez!


Heureusement, le gouvernement a débuté ses actions le 12 mars. Comme je le disais, la bataille du Costco qui a suivi a annulé l’efficacité de ces mesures. Je commence à calculer les mesures d’isolement effectif le 16 mars. Attention : mon modèle n’est pas au point pour estimer la croissance avec confinement. Je ne fais que ralentir le rythme de propagation. Si vous voulez vous amuser avec un réel modèle épidémiologique, ceci est un bon lien[5].


Cas estimés et cas rapportés, en prenant compte du délai


Il ne reste qu’à superposer les courbes : notre prévision de cas réels et les cas officiels. On se rappelle que les cas rapportés aujourd’hui ont été contaminé en moyenne il y a 11 jours, donc le 16 mars.



Les cas fantômes sont la différence entre les cas estimé par notre modèle et les cas détectés. Nous aurions 2501 cas fantômes en date du 16 mars. Nous détecterions donc 45% des gens infectés, pour le moment.



En conclusion


Vous comprendrez que ce modèle dépend de beaucoup d’hypothèses. Chaque jour apporte de nouvelles données qui feront varier les résultats. Je suis plutôt confiant que les 10 morts de hier impliquent qu’il y avait déjà au moins 250 cas fantôme le 3 mars au Québec (sinon plus). Cependant, plus je fais des projections avec mon modèle, plus les marges d’erreurs grossissent. Est-ce que je pourrais prédire combien il reste de cas fantôme aujourd’hui le 27 mars? Oui. Mais cette donnée ne vaudrait rien dire. J’arrête donc au 16 mars.


Dans les jours à venir, le gouvernement devra se concentrer sur 3 tâches :


  1. Réduire le délai de dépistage à zéro. Nous devons être suffisamment rapide pour dépister le virus le jour même de l’apparition des premiers symptômes. C’est l’objectif du gouvernement. Nous aurons ainsi un portrait avec seulement 6 jours de retard sur la réalité.

  2. Tester par échantillon probabiliste. La Corée du Sud est le meilleur exemple jusqu’à présent. Ce pays a testé massivement et réalisé que 30% des porteurs du virus étaient âgés de moins de 30 ans et étaient asymptomatiques. Un échantillon de 1000 patients sélectionnés au hasard nous apporterait cette précieuse information.

  3. Dépister les anticorps. Croyez-vous avoir eu la forme bénigne de la maladie? Ce serait bien de le savoir, ne serait-ce que pour sortir dehors en toute confiance. Des tests de dépistage d’anticorps sont possibles. Je crois qu’un retour à la vie normale devra passer par ces tests et une identification des gens immunisés.

Personnellement, j’ai confiance. Nous avons agi collectivement assez tôt. Nous sommes sur une bonne trajectoire si on se compare aux autres pays. Nous devrions voir l’effet des mesures de confinement très bientôt!


Mathieu Marchand

Le Vulgaire Économiste




Sources:

[1] Coronavirus Incubation Period https://www.worldometers.info/coronavirus/coronavirus-incubation-period/ [2] Suggested citation for this article: Wilson N, Kvalsvig A, Telfar Barnard L, Baker MG. Case-fatality estimates for COVID-19 calculated by using a lag time for fatality. Emerg Infect Dis. 2020 Jun [date cited]. https://doi.org/10.3201/eid2606.200320 [3] http://sphweb.bumc.bu.edu/otlt/MPH-Modules/BS/BS704_Probability/BS704_Probability12.html [4] Coronavirus Disease (COVID-19) – Statistics and Research https://ourworldindata.org/coronavirus [5] https://gabgoh.github.io/COVID/index.html?fbclid=IwAR37wDF9j1k0hoyBltquu58h9CHr7-_9no9PvWb9Egfog4lSY0d6s_X6WXc

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